C’est un positionnement inédit : le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) vient de publier un Rapport Spécial sur l’Océan et la Cryosphère dans le contexte du changement climatique, rendu public à Monaco ce mercredi 25 septembre[1].

 

L’importance des océans[2] et de la cryosphère (neige permanente, glaciers de montagne, calottes glaciaires, banquise, sols gelés) ne peut plus être niée. Les conséquences sur la faune et la flore ainsi que sur la population mondiale des changements qui sont déjà à l’œuvre (et dont certains sont irréversibles) sont abordées dans ce rapport. Malheureusement le seul point d’interrogation de ce rapport porte sur la fréquence et la rapidité des catastrophes climatiques à venir, et non pas sur la réalisation de ces phénomènes.

« La prise en compte de la biodiversité marine est très récente dans un tel rapport climatique, la bonne santé de l’océan est désormais reconnue comme l’un des enjeux de la lutte contre le changement climatique », Romain Troublé, Président de la Plateforme Océan et Climat et directeur général de la Fondation Tara Océan.[3]

Capture décran 2019 09 25 à 20.35.57Changements observés lors des dernières décennies :

  • Rétrécissement de la cryosphère (fonte).
  • Réchauffement continuel des océans depuis 1970 (le taux du réchauffement des océans a plus que doublé depuis 1993 par rapport aux vingt-cinq années précédentes) :
    • Plus de 90% de l’excès de chaleur produit par les activités anthropiques depuis les années 1970 a été absorbé par l’océan.
    • Des vagues de chaleur océanique ont fait leur apparition, qui constituent un impact majeur sur la biodiversité marine[4].
    • Une augmentation de l’acidité des océans à cause du taux toujours plus élevé de CO2 absorbé par les océans.
    • Une perte d’oxygène relevée entre la surface des océans et 1000 mètres de profondeur[5].
  • Le niveau de la mer a augmenté, et une accélération significative de ce changement a été observée lors des dernières décennies due notamment à la fonte des glaciers.
  • Accroissement du nombre de cyclones et autres événements climatiques extrêmes.

Les impacts observés sur les écosystèmes :

  • Depuis les années 50 de nombreuses espèces marines qui ont vu leur habitat transformé à cause de la fonte des glaciers, du réchauffement et de l’acidification des océans, ainsi que de la perte en oxygène des eaux marines, pâtissent de ces changements. Certaines espèces doivent lutter à la fois contre le changement climatique et la surexploitation des fonds marins (surpêche).
  • Les écosystèmes côtiers sont également touchés par ces changements (érosion des côtes, salinité des sols en hausse, disparition de la mangrove, disparition des coraux…).

Les impacts observés sur la population humaine :

  • Depuis le milieu du XXe siècle le rétrécissement de la cryosphère a eu un impact direct sur nos ressources en eau et en nourriture, notre environnement, notre santé, nos infrastructures, le transport, le tourisme, nos modes de vie, etc., avec un impact plus grand observé sur les populations indigènes et les communautés locales.
  • La population vivant sur les côtes[6] est la plus exposée aux catastrophes climatiques comme les cyclones tropicaux, les inondations, les vagues de chaleur océanique…

Quels sont les changements et les impacts à craindre d’ici 2050 ?

  • Il est attendu que les changements observés lors des dernières décennies vont continuer à évoluer à moyen terme (2031–2050) à cause du réchauffement de l’air. Les taux et magnitudes des changements cryosphériques vont même augmenter dans cette seconde moitié du XXIe siècle, en lien avec les émissions de gaz à effet de serre (GES).
  • Les changements océaniques vont continuer à se propager également, de la stratification des océans (« qui rend plus difficiles les échanges entre les eaux de surface, plus chargées en oxygène, et les couches plus profondes, riches en nutriments »[7]), au réchauffement des eaux marines, en passant par un déclin en oxygène et en production de ressources primaires. Dans tous les cas le rapport prévient que l’élévation du niveau de la mer continuera au-delà de 2100, quel que soit le scénario envisagé.
  • Des événements climatiques connus comme rares jusqu’ici (un par siècle) deviendront fréquents (au moins un par an dans certains endroits).

« Au-delà de 2050, tout va dépendre de nos émissions de gaz à effet de serre, prévient Valérie Masson-Delmotte, paléoclimatologue et coprésidente du GIEC. Les réduire permettrait de gagner du temps pour nous adapter aux risques, dont certains, comme la montée du niveau des mers, sont inéluctables. »[8]

Nous devrons donc compter avec des conséquences désastreuses sur la biodiversité marine et terrestre à cause de la dégradation des habitats, voire de leur disparition. Pour les écosystèmes les plus sensibles le constat est très pessimiste quant à leur adaptation si le réchauffement climatique excède les 2°C supplémentaires par rapport à l’ère préindustrielle, combiné aux autres catastrophes climatiques. Même si le réchauffement climatique n’évolue pas au-dessus du 1,5°C supplémentaire certaines espèces comme les coraux d’eau chaude sont très mal en point.

Ces changements vont impacter nos ressources en poisson et donc nos ressources de nourriture et les modes de vie des populations concernées directement par l’activité de pêche dans certaines zones.

Le rapport met également en avant le risque élevé d’avalanches, inondations, glissements de terrains, et celui pour les populations vivant auprès des côtes de voir leur habitat changer radicalement et ainsi menacer leurs modes de vie.

Les défis à relever sont nombreux mais le rapport propose des pistes et des directions à prendre : protection et restauration des écosystèmes ; construction de digues ou au contraire retraite (migration) face aux eaux montantes ; développement de solutions écologiques ; limitation de nos émissions. En un mot les experts du GIEC préconisent aux gouvernements de se coordonner sur la mise en place d’actions ambitieuses afin de s’adapter aux changements en cours et à venir, voire de les endiguer pour certains. Ils soulignent l’importance de l’éducation des populations sur le changement climatique mais aussi du partage d’informations sur la situation.

En un mot, si nous souhaitons protéger notre planète et traiter intelligemment et efficacement le changement climatique nous devons protéger nos océans !

Vous pouvez lire le résumé pour les décideurs, accessible en anglais ici. Selon Alexandre Magnan, chercheur en géographie humaine à l’Iddri, l’un des coauteurs du résumé, ce texte condensé ne reprend « que des constats suffisamment documentés, car nous nous devons d’être solides pour dégager un consensus »[9].

Accédez ici à la vidéo de la conférence de presse du GIEC donnée le 25 septembre à 11 heures.

 

[1] 104 auteurs, des scientifiques de 36 pays, ont référencé presque 7 000 publications dans ce document de plus de 800 pages.

[2] Rappelons-le, les océans représentent 71% de la superficie de la planète, 90% du volume de l’habitat disponible pour les organismes vivants et 97% de l’eau présente sur terre. Ils produisent au moins la moitié de notre oxygène et captent 20% à 30% du dioxyde de carbone généré par les activités humaines : ils sont les véritables poumons de notre planète.

[3] Source : https://oceans.taraexpeditions.org/m/environnement/ocean-climat-arctique/giec-ocean-cryosphere/

[4] Ces vagues de chaleur se sont intensifiées et sont deux fois plus nombreuses depuis 1982.

[5] « En raison d’une réduction des échanges avec l’atmosphère et du réchauffement, l’océan a perdu entre 0,5% et 3% de son oxygène entre 1970 et 2010. » Source : https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/09/25/l-alarme-du-giec-sur-un-ocean-en-surchauffe_6012972_3244.html

[6] Aujourd’hui, 680 millions de personnes résident dans des régions situées à moins de dix mètres d’altitude et elles seront probablement un milliard en 2050. Source : https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/09/25/680-millions-de-personnes-habitent-dans-des-regions-dont-l-altitude-ne-depasse-pas-dix-metres_6012969_3244.html

[7] Source : https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/09/25/l-alarme-du-giec-sur-un-ocean-en-surchauffe_6012972_3244.html

[8] Source : https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/09/25/l-alarme-du-giec-sur-un-ocean-en-surchauffe_6012972_3244.html

[9] Source : https://www.lemonde.fr/planete/article/2019/09/25/l-alarme-du-giec-sur-un-ocean-en-surchauffe_6012972_3244.html